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Article publié dans Moselle Sport 139

Anita Fatis : « C’est merveilleux d’être debout »

Anita Fatis et Moselle Sport, ce sont deux histoires intimement liées. Elle a été l’une des premières athlètes de haut niveau à paraître dans nos pages en 2010. Pour la nouvelle formule du magazine, elle s’est prêtée à l’exercice de l’interview. À la seule différence que désormais, elle nous a accueillis debout. Récit d’une renaissance.

Cela fait treize ans que l’on se connaît. Mais c’est la première fois que tu évolues debout, sans ton fauteuil. Je suppose que ta vie a été complètement chamboulée…
Dans le bon sens du terme. Tu ne peux pas savoir à quel point c’est merveilleux de se retrouver en station debout. Dix-sept ans que j’étais en fauteuil. Même si le sport de haut niveau m’a permis de récupérer un peu mes fonctions motrices et sorti de la dépression, l’exosquelette dont je dispose aujourd’hui, m’a complètement changé la vie.

Justement, parlons-en de cet exosquelette. Comment est-il arrivé à partager ton existence ?
Cela fait suite à mes deux expéditions au Népal, la première au Manaslu en 2018 et la deuxième à l’Everest l’année suivante. Trois mois avant de partir en 2019, je vois sur les réseaux sociaux l’histoire d’un homme atteint de sclérose en plaques qui était capable de remarcher. J’en parle à ma kinésithérapeute et à mon orthopédiste Hugo. C’est lui qui m’informe pour la première fois de l’existence d’Ottobock, une entreprise spécialisée dans la conception de prothèses. Ni une, ni deux, j’appelle la société pour évoquer mon projet au Népal. La responsable commerciale, bien qu’intéressée, me met en garde sur difficulté du processus de rééducation. Constat confirmé par Hugo. Il me propose de me faire des orthèses fixes avec un déverrouillage du genou afin que cela me permette de me (re)verticaliser. Comme prévu, cela n’a pas été une partie de plaisir… Pendant la pandémie, je rappelle Ottobock. La filiale française était partante tandis que la maison mère allemande ne l’était pas. Devant mon enthousiasme et ma pugnacité, voire une certaine forme d’harcèlement (sourire), j’ai fait des essais en 2021. Nous avons signé une convention de partenariat avec Ottobock France afin que je sois dotée de ma C-Brace, le prototype dont je dispose depuis avril 2022.

Comment ça marche ?
C’est assez complexe. Un moulage de mes jambes a été réalisé par le technicien Dino Bagnarosa et des essais ont permis de configurer les réglages. Un système de capteur calcule la position de la jambe et déclenche le mouvement à bon escient. La majeure partie du mécanisme est fixé sur ma jambe gauche, la plus touchée par la sclérose en plaques.

La maladie a-t-elle évolué ces dernières années ?
J’ai fait des examens en 2019, 2021 et 2022. Le corps médical m’a indiqué que la sclérose en plaques était stable. Un processus normal dans la mesure où plus les gens vieillissent, plus la maladie a tendance à se calmer.

Revenons à ton exosquelette. Tu en as été dotée en avril de cette année et tu as décidé de (re)prendre la route du Népal pour la troisième fois consécutive en novembre. De quelle façon t’es-tu préparée ?
J’ai eu sept mois intensifs de préparation. J’ai continué à nager, deux à trois par semaine à raison de quatre à cinq kilomètres par séance. Je fais à la fois du grand volume et de la vitesse. Par exemple, en septembre, je me programme la traversée pour l’espoir qui consiste à relier Lausanne en Suisse à Publier en France par le Lac Léman. Je le fais en qualité de marraine d’une association qui lutte contre la sclérose en plaques. Cette fois, on l’a effectué en duo avec Florence, une triathlète valide en 4 h 10 : j’ai nagé 7,3 km et elle a fait le reste. Puis bien sûr, je me suis aussi entraîné à la marche. Lorsque j’ai reçu ma C-Brace que j’ai rebaptisée « ma Dino », en référence à Dino Bagnarosa, il fallait bien l’apprivoiser. J’ai commencé par le tour de notre quartier, soit 500 m. Avec mon mari Kamel, je me suis aventuré un peu plus loin jusqu’à atteindre au fil des semaines, 12 km. Nécessaire pour affronter le Rolwaling Himal, une section de l’Himalaya dans le centre-est du Népal, le long de la frontière avec le Tibet. La destination m’a été soufflée par l’agence avec laquelle je collabore sur place. Je leur avais demandé un « petit » 5 000 m, pas trop difficile afin que je puisse marcher. Mais c’était quand même difficile (rires) ! À la base, je devais accomplir toutes les montées à pied et les descentes en Quadrix*. Or, un mois avant le départ, la compagnie Emirates ne souhaitait plus prendre mon fauteuil tout-terrain. Elle me demandait 16 000 € aller/retour pour le transporter. On a donc fait sans. Finalement, heureusement qu’on ne l’avait pas car même dans les descentes, on n’aurait pas réussi.

Avec le recul, quelle a été l’expédition la plus difficile des trois effectuées au Népal ?
Si la plus remarquable a été celle de l’Everest en 2019, cette dernière en 2022 a été la plus compliquée. Je n’ai pas manqué de capacité pulmonaire mais physiquement, cela été très éprouvant. Le deuxième jour, on a attaqué 1 400 m de dénivelé, soit 3 000 marches d’escaliers. L’application de mon téléphone a même repéré que je faisais du vélo elliptique tant le relief était escarpé et accidenté ! Chaque jour, on faisait en moyenne 7 à 8 heures de marche, parfois jusqu’à la nuit tombée.

Tu es une femme de défis, plus que de projets. En 2023, tu y retournes ?
Je vais y retourner en 2024. Étant suivie par des patients atteints de sclérose en plaques, j’ai décidé d’aller les voir cette année, à pied. Je pensais partir de Thionville mais mon départ se fera à Lille dans le nord fin mai – ce qui concorde avec la journée mondiale de la sclérose en plaques – pour rejoindre Thonon-lès-Bains, lieu de l’association où je suis marraine, au début du mois de juillet. L’idée est de marcher quinze kilomètres quotidiennement pendant un mois et demi. Avant de rejoindre la fin de l’étape de chaque jour, je demanderai à des patients de m’accompagner. Seule différence par rapport à tous mes autres projets, je ne serai pas accompagnée par mon mari Kamel. Il a toujours été là pour moi mais je veux aussi montrer, maintenant que je suis debout, que je peux me débrouiller toute seule. Toutefois, je serai tout de même aidée par quatre personnes pour la logistique.

L’exosquelette t’a fait retrouver la totalité de tes capacités motrices. Comment tu perçois le quotidien pour les personnes à mobilité réduite ?
Il y a tant de choses à faire encore aujourd’hui. Désormais, je n’ai plus besoin de me poser de questions pour me rendre au cinéma, aller au restaurant… On n’anticipe plus, on ne calcule plus, on vit tout simplement. En France, tout est à revoir en termes d’accessibilité. La loi de 2015 relative aux Établissements Recevant du Public (ERP), n’est pas appliquée. La véritable avancée, c’est la loi sur l’Allocation Handicap désormais versée sans conditions.

Pour terminer, comment ton entourage proche a-t-il perçu ta nouvelle verticalité ?
Il y a une chose dont je me souviendrais jusqu’à mon dernier souffle. Lorsque mon petit-fils m’a vu pour la première fois debout, il s’est exclamé : « T’es grande mamie ! » Lui qui ne prend que très rarement la main aux adultes, me serre la mienne lorsque je marche. C’est fabuleux !

*Fauteuil Tout-Terrain qui offre, aux personnes à mobilité réduite, le plaisir des sorties au cœur de la nature et de la montagne, avec les sensations de pilotage du VTT.

Photos : Moselle Sport, DR - Article publié le 9 mars 2023

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