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Dimitri Yachvili : « La Coupe du Monde doit servir d’électrochoc pour les Bleus »

Ancien international (61 sélections) et demi de mêlée de Biarritz, Dimitri Yachvili a été un observateur attentif de cette dernière Coupe du Monde en Angleterre. Pour Moselle Sport, le Briviste a accepté de nous livrer son analyse, comme il l’a fait chaque jour du Mondial en tant que consultant pour la chaîne beIN SPORTS. Entretien.

Dimitri, la Nouvelle-Zélande et l’Australie sont-elles logiquement les équipes qui méritaient le plus leur place en finale ?

Les deux équipes ont bien sûr mérité leur place en finale de cette Coupe du Monde même si l’Argentine et l’Afrique du Sud n’ont pas démérité. Les plus constants et les plus réguliers se sont retrouvés logiquement en finale. La Nouvelle-Zélande doit sa victoire à son immense expérience, ses joueurs hors du commun à de nombreux postes. Les Blacks, on ne les découvre plus, ils sont performants, c’est tellement extraordinaire de les voir à ce niveau depuis plusieurs décennies, on se demande jusqu’où ça va aller.

Un débat s’est ouvert sur le niveau des nations européennes après la présence d’équipes faisant partie uniquement de l’hémisphère Sud pour les demi-finales. Y a-t-il une différence de niveau ?

Probablement, car les résultats sont là. Je ne pense pas qu’on puisse résumer le niveau des équipes de ces quatre dernières années sur un mois et demi de compétition. Pour prendre l’exemple des Anglais qui ont fait beaucoup d’efforts et qui ont essayé de révolutionner leur rugby dans la formation notamment, et finalement, ils ne sortent pas des poules. Les Gallois étaient décimés par les blessures et ils ont rivalisé. La majorité des joueurs des nations de l’hémisphère Sud joue dans le meilleur championnat du monde, le Super 15, où il y a plus de jeu, de densité physique, de rythme. Ça se ressent dans le niveau des nations également.

Le niveau du Top 14 est-il aussi élevé que les observateurs le pensent ?

Je pense que le Top 14 n’est pas aussi élevé qu’on ne le pense, au niveau du jeu, du rythme et de la technique individuelle. Le championnat de France a beaucoup de retard. Un écart important existe entre le Top 14 et le Super 15, le championnat de l’hémisphère Sud, déjà au niveau de la mentalité de jeu. Au Super 15, qui est une ligue fermée, sans descente ni montée, ils jouent pour gagner alors qu’en Top 14, on joue pour ne pas perdre. La philosophie de jeu est déjà bien différente et l’écart avec le niveau de technique individuelle est important avec le Sud. Les avants All Blacks sont meilleurs techniquement que les 3/4 français. Le niveau du Top 14 dessert l’équipe de France, je pense.

L’équipe de France. Avec le recul, quel bilan tirez-vous des résultats du XV de France lors de cette Coupe du Monde ?

Le bilan n’est évidemment pas positif. Même si je suis attristé par la lourde défaite en quart de finale, je vais essayer de retenir le positif et espère que cela va créer un électrochoc au sein du rugby français. Que les personnes qui prennent les décisions au sein des instances prennent leur responsabilité et fassent les bons choix au niveau de l’équipe de France. J’étais déçu de leurs résultats et de leur situation mais il faut aller de l’avant.

Étions-nous capables de faire mieux ?

Cette Coupe du Monde est partie forte en termes de niveau et de vitesse de jeu, et le meilleur exemple, ce sont les Japonais qui ont gagné sur la vitesse face à la puissance sud-africaine. Je me suis vite rendu compte que ce serait très difficile pour l’équipe de France car, à ce niveau-là, il ne suffit pas d’être bon physiquement, il faut aussi un plan de jeu élaboré et la vitesse qu’on y met. La blessure de Yoann Huget n’est pas l’excuse dont on peut se servir pour expliquer la mauvaise Coupe du Monde des Bleus. C’était certes l’un des seuls joueurs créatifs dans la ligne de 3/4 française et on l’a remplacé par Rémy Grosso qui est un joueur plus basé sur le physique. Brice Dulin a pris la place d’Huget à l’aile mais il n’a pas eu l’occasion de s’exprimer pleinement.

Si vous deviez pointer du doigt les errances des Bleus, quelles seraient-elles ?

Le jeu de l’équipe de France était trop basé sur le physique et non sur le jeu et la vitesse. Il aurait fallu prendre un peu plus de responsabilités au niveau du jeu et varier beaucoup plus nos actions. On a pu voir que si Mathieu Bastareaud n’était pas en forme et pas performant, si Frédéric Michalak n’était pas bon dans ses tirs au but, et bien on n’a plus trop de solutions. Nous n’avions qu’un plan A alors que les autres équipes avaient des plans B et même C ou D.

Le bilan de Philippe Saint-André est-il négatif ?

On ne peut pas dire qu’il est réussi déjà (sourire). Au niveau des résultats, puisqu’il n’a jamais fait mieux que la quatrième place au Tournoi des Six Nations, il n’a pas réussi à battre l’Irlande, on prend 60 points en quart de finale de la Coupe du Monde alors qu’il y a quatre ans, on avait échoué à un point en finale (7-8, NDLR). Le bilan est négatif par rapport au mandat précédent. C’est décevant. On se rend compte qu’en équipe de France, c’est compliqué de s’exprimer pleinement et peut-être qu’il y avait d’autres personnes qui prenaient des décisions à sa place, je ne sais pas.

Que va apporter Guy Novès, selon vous, à cette équipe de France ?

L’avenir nous le dira. C’est quelqu’un qui a de l’expérience, un palmarès, qui connaît bien les joueurs er le rugby de haut niveau. J’espère qu’il fera remonter les Bleus par sa rigueur, sa discipline, son franc-parler, mais je pense aussi qu’il va subir le système mis en place. Les joueurs qui doivent avoir des objectifs avec leur club, le nombre de matchs, le nombre de jours où il pourra avoir les joueurs avec lui… On attend de lui des résultats et une autre philosophie de jeu.

Doit-il rebâtir totalement l’équipe avec de nouvelles têtes ?

Il ne va pas pouvoir changer 30 joueurs de toute façon car il n’y a pas 30 joueurs français de niveau international pour les remplacer en Top 14. Il va devoir s’appuyer sur des joueurs qui étaient présents en équipe de France mais ce qui est sûr, c’est qu’il va donner sa chance à d’autres jeunes joueurs prometteurs pour construire sur les quatre années à venir avant de penser à la prochaine Coupe du Monde. Avant ce Mondial 2019 au Japon, il y a des objectifs à court terme qui va falloir assumer.

Une victoire en Tournoi des Six Nations à très court terme est-elle imaginable ?

Pour moi, il y a déjà une pression de résultats dès le premier tournoi. On parlait que de la Coupe du Monde depuis quatre ans mais le Tournoi des Six Nations est une compétition historique et les Bleus doivent toujours bien y figurer. Chaque sélectionneur a toujours fait un Grand Chelem ou l’a gagné – sauf Philippe Saint-André – donc avant de penser à 2019, il va falloir bien se concentrer sur le Tournoi des Six Nations 2016.

Quelles ont été les surprises de cette Coupe du Monde pour vous ?

C’était une Coupe du Monde qui était basée sur le jeu ouvert et la vitesse d’exécution. Le signe fort, je reviens dessus, mais c’est la performance des Japonais durant ce Mondial, notamment face à la force physique de l’Afrique du Sud d’entrée de jeu. L’écart s’est resserré entre les petites et les grandes nations, il n’y a pas eu d’écarts conséquents – hormis notre quart de finale malheureusement – face aux petites nations.

Vous avez forcément été attentif à la performance de la Géorgie, un pays dont vous êtes originaire. Que pensez-vous du mondial des Géorgiens (2victoires, 2 défaites) ?

J’étais très heureux et très fier de la performance de la Géorgie dans un groupe relevé avec la Nouvelle-Zélande et l’Argentine. Ils ont bien évolué dans leur rugby grâce à l’arrivée d’un grand nombre de joueurs géorgiens dans le championnat de France, et découvrir des matchs de haut niveau. Il y avait une bonne énergie et ils ont réussi leur Coupe du Monde.

Vous êtes consultants sur beIN Sports depuis la rentrée 2014, pour quelle raison avez-vous accepté cette aventure ?

Je prends beaucoup de plaisir dans cette activité que j’avais découverte une première fois lors d’une blessure où j’avais commenté un match d’une tournée des Sud-Africains au Pays de Galles. Je prends beaucoup de plaisir dans cette activité-là avec mon compère Rodolphe Pirès, cela me permet de commenter des matchs de très haut niveau de la Coupe d’Europe.

La décision d’arrêter a-t-elle été dure à prendre ? Vous reverra-t-on un jour près d’un terrain avec un survêtement ?

Ce n’est jamais une décision facile mais elle était bien mûrie, bien réfléchie et encore aujourd’hui, je ne regrette pas ma décision. Je ne sais pas encore si je reviendrais sur les bords d’un terrain dans la peau d’un technicien ou d’un entraîneur car pour l’instant je suis très heureux dans mon costume de consultant à beIN SPORTS et je profite de cela à fond. Je suis bien dans ce que je fais.

Photos : DR - Article publié le 3 janvier 2016

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