Vogein/Myaro/Wendling : Championnes du monde, 10 ans déjà
Quand on vous parle de décembre 2003, quelle est la première image qui vous revient en tête ?
Estelle Vogein : Paradoxalement, c’est la veille de partir pour les Mondiaux où je me « pète » la cheville lors du dernier tournoi préparatif (rires). Je ne savais pas si j’allais y aller car on était trois pour le poste. Et finalement, Olivier (Krumbholz, NDLR) a décidé de me sélectionner en consultation avec les médecins et les kinés.
Nodjialem Myaro : Moi, c’est la « cravate » que prend Véro (Véronique Pecqueux-Rolland, NDLR) pour obtenir le fameux pénalty de la dernière minute. Et le pénalty réussi par Leïla Lejeune. Ce sont ces images qui me reviennent en tête immédiatement. Un grand moment de sport.
Isabelle Wendling : Pour ma part, c’est le podium. Car c’était l’aboutissement d’une quinzaine réussie avec des matchs réussis, difficiles, avec des scénarios dantesques, comme lors de la finale. Cela s’est joué à pas grand-chose parfois et cela a toujours basculé dans notre sens.
Ce titre, était-ce une surprise pour vous ?
E. V. : Oui et non. Nous avons pris les matchs les uns derrière les autres et on a réalisé un Mondial parfait. J’ai l’impression que l’on a été sur un petit nuage pendant les quinze jours de la compétition. Avant le début du tournoi, on n’était pas les favorites mais plutôt dans les outsiders.
N. M. : Il faut dire qu’Estelle a fait un très bon mondial. Je comprends pourquoi elle se sentait sur un petit nuage, elle réussissait tout ce qu’elle entreprenait (rires). Je ne pense pas qu’on était intouchables mais suffisamment solidaires pour faire mal.
I. W. : Cela faisait quelque temps que l’on travaillait avec la même équipe et on avait eu, en 2002, la médaille de bronze à l’Euro, et on sentait bien que l’on se rapprochait du plus haut niveau. Mais se rapprocher, c’est une chose, aller au bout en est une autre. On savait qu’on avait les capacités pour le faire.
N. M. : On est revenue de tellement loin en finale que l’issue est peut-être surprenante. Après, comme le dit « Isa », on jouait ensemble depuis les Mondiaux 1999, où on avait décroché la médaille d’argent, c’était la concrétisation de plusieurs années de travail.
Avec les Bleues, vous survolez la phase de poules (5 victoires en 5 matchs). C’est à ce moment-là que vous prenez conscience de votre force ?
N. M. : Oui, c’est venu crescendo. Match après match, on a senti que l’on pouvait faire un beau parcours et on montait en puissance doucement. Ce parcours de début de tournoi nous a forgées petit à petit et a eu un impact important sur la suite de la compétition.
E. V. : On a eu des matchs difficiles à jouer dans cette poule, face à l’Espagne notamment où on a failli passer au travers et la Croatie chez elle, ce qui n’est jamais évident. On savait que c’était des matchs couperets et qu’il ne fallait pas se louper.
I. W. : Les victoires apportaient de la confiance et nous permettaient de connaître notre réel niveau dans cette compétition. Mais tout n’était pas acquis pour autant.
Lors de la 2e phase de poule, vous chutez d’entrée face aux Sud-Coréennes. Le doute s’est-il installé ? Cette défaite a-t-elle été un mal pour un bien ?
E. V. : La Corée du Sud, ça n’a jamais été notre équipe favorite (rires). Le fait de ne perdre que d’un but contre elles, alors que l’on ne les avait jamais battus, a été encourageant tout de même. Ça ne fait jamais trop de mal de perdre un match et ça remet les idées en place.
N. M. : La Corée nous avait un peu traumatisé aux Jeux de Sydney en 2000… Mais cette défaite n’a pas été une mauvaise chose, elle ne nous a pas déstabilisés outre mesure…
I. W. : Oui, cette défaite nous a été bénéfique, c’est vrai. Elle nous a permis de redescendre un petit peu de notre nuage, si tenté qu’on était dessus, et de nous remettre au boulot. Estelle a raison, la Corée du Sud est notre bête noire. Il ne fallait pas se focaliser sur ce résultat.
En demi-finale, vous battez l’Ukraine aux prolongations. Avez-vous songé, durant la rencontre, que la France pouvait perdre ce match ?
E. V. : Non, pas du tout. J’avais vraiment la sensation d’être au-dessus avec l’équipe de France. Et je n’ai pas eu l’impression, pendant le match, que l’on était inquiètes de l’issue de la rencontre. Je savais que ça allait passer.
I. W. : On n’y pense pas vraiment, en fait, pendant le match. Quand on est dans le feu de l’action, on ne pense pas que l’on peut perdre. On était en confiance et on n’a pas douté.
N. M. : Et puis, il faut croire que les prolongations, on aime bien (rires). Elles nous réussissent souvent bien et la finale le prouve également. On était une équipe avec un gros mental, capable de se battre jusqu’au bout.
La finale face à la Hongrie… une fin épique… y croyez-vous honnêtement… quand, à 17 secondes de la fin de la rencontre, la Hongrie mène 28-27 ?
I. W. : À 20 secondes de la fin, alors que le ballon est chez les Hongroises, on y croit encore plus, je dirais. C’est plus tôt dans le match que l’on s’est mis à douter. On était menées de 7 buts à 7 minutes de la fin, Valérie (Nicolas, NDLR) qui avait monstrueuse durant la compétition, connaissait plus de difficultés en finale… on ne pensait pas, à ce moment-là du match, réussir à rattraper ce retard.
N. M. : C’est clair qu’on y croyait ! C’est d’ailleurs Stéphanie Cano qui a lancé ce vent de révolte. Même sur le banc, personne n’avait lâché l’affaire. On a poussé et ça a payé.
E. V. : La finale, cela reste particulier. Pendant un moment de la rencontre, on avait vraiment la tête sous l’eau. On se disait qu’on allait se prendre la honte de prendre une valise si on continuait comme ça. On avait envie de se cacher. La France est toujours capable du pire et du meilleur et on avait fait le pire. Et puis, on a trouvé les ressources pour revenir. De nulle part.
Une fin de match comme celle-là, avec une interception à dix secondes de la fin et ce pénalty obtenu par Véronique Pecqueux-Rolland, vous en avez vécu d’autres ?
I. W. : Non, celle-ci, elle est gratinée (rires). Difficile de faire plus rocambolesque. Je pense que je m’en souviendrais toute ma vie. Je me rappelle de tous les détails, du pénalty de Leïla qui, soit dit en passant, devait avoir le bras sacrément lourd avant le tir, et du dernier quart d’heure. C’est marqué à vie.
N. M. : Non, c’est un match historique. Un sportif, quel que soit le sport collectif, il ne peut le vivre qu’une fois. Comme les basketteurs cet été face à l’Espagne ou les footballeurs en 2000 face à l’Italie. Et nous, on a eu la chance de le vivre. C’était extraordinaire.
La prolongation a été une longue descente aux enfers pour la Hongrie qui a encaissé un 4-1 en six minutes… Cette égalisation à la dernière seconde a été trop dure à vivre pour les Hongroises ?
E. V. : Évidemment. Quand on obtient le pénalty, Görbicz prend le carton rouge. Si Leïla (Lejeune, NDLR) marque et qu’on va aux prolongations, c’est sûr, on est championnes du monde. Elles étaient déjà cinq sur le terrain au moment de l’exclusion de Görbicz… on reprenait les prolongations à 6 contre 4. Il n’y avait plus de match.
Quel a été votre premier sentiment lors du coup de sifflet final ?
N. M. : On explose, c’est comme un feu d’artifice. Difficile d’être lucide à la fin d’un match comme celui-là. On met du temps à réaliser ce qu’on vient de faire. Est-ce un rêve ? Est-ce réel ? On a du mal à faire la part des choses. C’est d’ailleurs ma sœur qui m’a fait réaliser la portée de cette victoire le lendemain en me disant : « Tu te rends compte que tu es championne du monde ? ». Après le coup de sifflet final, on est contente du travail accompli et de ce titre, qui nous avait échappé en 1999. On l’a fait. Voilà ce qu’on se dit.
E. V. : On pense aux 10-15 ans où on en a bavé avec Olivier pour en arriver là. On pense à la famille, les amis et j’ai envoyé un SMS à tout mon répertoire, sans trier, tellement j’étais heureuse. Beaucoup de personnes de l’entourage de l’équipe avaient fait le déplacement jusqu’en Croatie. C’était un grand moment.
I. W. : On ne pense à rien. On est juste contentes d’être allées au bout, on est lessivées mentalement et physiquement. Puis, sur le podium, on pense aux proches, et on a envie de partager cela ensemble. C’est impossible de décrire ce que l’on ressent à ce moment-là. Mais c’est agréable, ça c’est sûr (rires).
Sur le plan personnel, quel fut votre match le plus abouti de ces championnats du Monde ?
I. W. : Je ne sais pas. Je n’arrive pas à ressortir une rencontre parmi toutes celles jouées. Pas la finale, ça c’est sûr, puisque je l’ai terminé dans les tribunes (rires). C’est certainement le premier et le dernier carton rouge de ma carrière que je prends d’ailleurs.
E. V. : C’est difficile car je n’ai pas beaucoup joué. Mais le peu de temps de jeu que j’ai eu, je l’ai optimisé au maximum. Je n’ai pas fait énormément d’erreurs et j’ai frôlé le 100 % sur toute la compétition. J’ai fait mon job lors de la finale.
Est-ce votre meilleur souvenir de joueuse de haut niveau ?
E. V. : Oui, sans contestation possible. Et puis, avec ma blessure juste avant la compétition, j’ai eu chaud (rires). L’émotion la plus belle, assurément.
N. M. : Bien sûr. Peu de sportifs de haut niveau peuvent se vanter d’avoir gagné un titre mondial. Après, je pense que mes participations aux Jeux olympiques restent aussi des souvenirs extraordinaires, c’est une compétition hors pair. Ce n’est pas comparable. Les JO, c’est hors catégorie, surtout Sydney en 2000. C’est au-dessus de tout. Alors, je suis partagée (sourire).
Le paradoxe de cette victoire finale est qu’aucune des dix premières marqueuses du Mondial n’étaient Françaises. Quelles étaient les forces de cette équipe de France ?
E. V. : Que le danger pouvait venir de partout et que l’on avait pas de grosse marqueuse. Du coup, les adversaires ne savaient pas sur qui se concentrer particulièrement.
Isabelle, vous êtes élue « Meilleure Pivot » de la compétition…
I. W. : Oui, cela fait toujours plaisir mais ce n’est pas important. C’est une petite reconnaissance et c’est gratifiant mais après, quand on sait comment ces distinctions sont faites, on relativise un peu.
Estelle, vous obtenez le prix du fair-play de la compétition. Pourquoi ?
E. V. : Je n’ai jamais su (rires). Je suppose que c’est parce que je n’ai pas été sanctionnée de la compétition et au niveau de mes statistiques, j’étais pratiquement à 100 %. Et comme je ne pouvais pas être nominée meilleure ailière droite du Mondial vu mon faible temps de jeu, ils m’ont remis ce trophée.
Photos : DR - Article publié le 3 avril 2014