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Vladan Lukic : le Patriote

Bouillonnant attaquant serbe, il restera à jamais dans l’histoire comme le premier joueur professionnel à avoir décidé de faire une parenthèse à sa carrière afin de prendre les armes pour son pays, la Serbie. Attaquant international et modeste buteur de Ligue 1 (12 buts en 68 matches), Vladan Lukic, c’est surtout l’histoire d’un homme qui aimait plus son pays que le football. Portrait.

Janvier 1999. Le massacre de Račak implique la mort de 45 Albanais du Kosovo. Cette tuerie aurait été un acte délibéré de la police serbe selon les rapports des organisations européennes. Le massacre de Račak seara donc le point de départ de l’Opération Allied Force, opération militaire de bombardements de l’Otan sur des cibles serbes durant la guerre du Kosovo. Cette Alliance reproche à Belgrade d’organiser une chasse aux Kosovars, lesquels demandent l’indépendance de leur nation. Les exactions serbes au Kosovo qui, sous couleur de contre-insurrection, auraient fait 2 000 morts civils et 300 000 réfugiés, finissent par convaincre les dirigeants occidentaux, au bout de huit années de ses violences, que l’action militaire contre son dirigeant, Slobodan Milošević, est nécessaire. Le 30 mars 1999, Vladan Lukic, alors joueur du FC Metz demande à son président, Carlo Molinari, de quitter le club pour pouvoir s’engager comme réserviste dans l’armée. Il déclare alors : « La Serbie est une victime. Personne ne changera nos frontières contre notre volonté. » En 1992 déjà, Vladan Lukic était aux côtés de ceux qui se battaient pour la Serbie. Le capitaine de l’Étoile Rouge avait ainsi passé le réveillon du Nouvel An avec les fans du Marracana, l’antre de l’Étoile Rouge, partis sur le front. « Beaucoup de nos supporters de la tribune nord écrivent indubitablement les plus belles pages de l’histoire de la Serbie », déclare-t-il alors. Son coéquipier, l’ancien international Sinisa Mihajlovic ajoute alors : « Nos supporters sont au front… mon peuple meurt et verse son sang, comment pourrais-je jouer ? Il m’est même venu à l’idée qu’il était inconvenant de jouer et de se réjouir au milieu de tant de drames. » Mars 1999, Vladan Lukic ne peut plus jouer. Plus que de l’inconvenance, c’était devenu insupportable.

« Une aide logistique et humanitaire »

L’histoire de Vladan Lukic commence en 1970 à Sopot, bourgade de 2 000 habitants située non loin de la capitale serbe, Belgrade. À cette époque, la Yougoslavie est encore intacte et le jeune attaquant rejoint le club phare du pays, l’Étoile Rouge de Belgrade, en 1986, qui possède déjà 15 titres de champion à son actif. Lukic fait ses classes dans l’ombre des stars du club, Dejan Savicevic, Sinisa Mihaljovic et Robert Prosinecki. Âgé de 21 ans, il ne participe pas à la fameuse finale de Bari en mai 1991, lors de l’unique victoire de l’Étoile Rouge en Coupe des Clubs Champions, face à l’Olympique de Marseille. Les deux saisons suivantes sont celles de l’explosion pour le numéro 9 serbe. Ses premières sélections en équipe nationale de Youglosavie en 1991 et son costume de serial buteur sous le maillot rayé rouge et blanc (101 en 171 matches) éveillent la curiosité de nombreux grands clubs européens. Parmi eux, le club espagnol de l’Atletico Madrid qui arrache Lukic en janvier 1993. La place au soleil est compliquée à obtenir pour l’international yougoslave qui sera prêté au pays, à Vojvodina, six mois plus tard, puis à l’OFK Belgrade avant de tenter de reconquérir l’Espagne à Marbella, en D2. Son passage à Sion (Suisse) entre 1996 et 1997 relance l’intérêt des clubs européens, dont celui du FC Metz qui décide de recruter le numéro 9 à l’été 1997. Des débuts en fanfare avec le but de la victoire messine à Lyon (1-0) lors de la première journée de championnat. Une récidive à la 5e journée à Monaco et l’on pense l’attaquant parti pour réaliser une grande saison. Si Metz termine vice-champion en fin d’année, le buteur serbe doit, lui, se contenter des 8 buts en 42 matches. La saison suivante sera plus compliquée encore. Muet avant le match contre l’Étoile Rouge de Belgrade, son ancien club, pour le compte du 1er tour de la Coupe de l’UEFA après l’élimination catastrophique face à Helsinki au tour préliminaire de la Ligue des Champions, Vladan Lukic fait des siennes. Blessé avant ce match, ce sont surtout les déclarations de l’attaquant au sujet de son inefficacité offensive qui restent en travers de la gorge de nombreux joueurs et dirigeants. Morceaux choisis : « Ce n´est pas un problème personnel si je ne marque pas. J´estime que je ne bénéficie pas d´assez d´occasions. L´inconvénient est qu´à Metz, je n´ai toujours pas compris où je jouais. À droite, au centre, à gauche, ça change tout le temps… » Évidemment, à Metz, où le linge sale se lave toujours en famille, les propos du Yougoslave ont fait l´effet d´une bombe. « Le fait d´avoir une réaction individualiste et égoïste n´arrange pas les affaires du club ni les siennes, commente alors Carlo Molinari. Désormais, Lukic s´est mis tout le monde à dos, le public comme ses partenaires. » L’affaire tourne au vinaigre. Buteur à 4 reprises en 26 matches, sa demande « va t’en guerre » résonne comme un abandon. À la guerre comme à la guerre.

Président de l’Étoile Rouge de 2009 à 2012

L’histoire de Vladan Lukic est donc celle d’un footballeur pro devenu soldat. Pendant trois mois sous les drapeaux, l’ancien Messin ne prend pas directement part au combat mais use de sa notoriété pour remonter le moral des civils touchés. « Je suis resté dans ma région en soutien aux troupes et à la population. Je leur apportais à manger, je discutais avec eux, j’aidais à la livraison de matériel militaire ou médical. C’était plus une aide logistique et humanitaire. » Il tente de rebondir lors de l’été 1999 en Grèce, sans succès. « Mon cœur n’y était plus, mes jambes ne comprenaient plus l’intérêt d’envoyer un ballon au fond d’un filet après ce que j’avais vécu. » Manager du club de « sa » ville, Sopot, il deviendra président de l’Étoile Rouge de Belgrade en mai 2009 avant de démissionner en novembre 2012. Vladan Lukic évoque alors une fatigue générale, physique et mentale, pour expliquer sa décision. « Je n’ai plus l’énergie, plus la force nécessaire pour maintenir le club au sommet et j’ai donc décidé de laisser la place à quelqu’un d’autre qui sera à la hauteur. » Faire toujours ce qu’il faut pour le bien de son pays. Toujours. « Aujourd’hui, si tout était à refaire, je referais la même chose. Ma carrière n’est pas grand-chose face à ce que représente pour moi l’idée que je me fais de mon pays. » Patriote jusqu’au bout.

Photos : DR - Article publié le 22 juillet 2013

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