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Enquête : Les journalistes locaux sont-ils chauvins ?

Le traitement de l’information sportive locale suscite parfois un certain émoi chez le lecteur. Traduction trop lointaine de sa lecture propre de l’événement, parti-pris incohérent au vu de la physionomie de la rencontre ou critique du sport aveuglé par un flot d’émotions et de chauvinisme exacerbé, les journalistes sportifs manquent-ils de recul ? Éléments de réponse.

Cet été, le très sérieux Wall Street Journal s’est abondamment attardé sur le chauvinisme des journalistes sportifs lors des Jeux olympiques. « Certains journalistes laissent leur objectivité à la maison lorsqu’ils couvrent les Jeux », explique le quotidien, un brin perplexe. Si Britanniques, Japonais et Italiens sont cités par le journal américain comme particulièrement supporters de leurs propres athlètes, la palme est revenue aux reporters français, rivalisant d’enthousiasme et de parti-pris sans aucun degré de recul quant à la performance de leurs champions. « En ce qui concerne l’enthousiasme lors des retransmissions télé, les Français devraient remporter l’or », juge le Wall Street Journal. Point d’objectivité, place à l’empathie et à l’émotion, l’objectif est, avant tout, de faire chavirer les téléspectateurs hexagonaux. Au risque, parfois, de se laisser emporter et de frôler de très près la sortie de piste. « On les appelle journalistes, mais ce sont des supporters, explique le sociologue du sport Michel Caillat, responsable du Centre d’analyse critique du sport (CACS). Vous avez vu quand ils interviewent les sportifs après un match ? De purs moments de complicité indignes d’une carte de presse. Ils alimentent le grand mythe olympique (pureté, loyauté) comme si c’était une évidence. Normal, ils ne veulent pas scier la branche sur laquelle ils sont assis. » Le journaliste chauvin, si identifiable par ses mots, ses envolées lyriques et ses exclamations non pesées.

« Globalement, je suis rarement satisfait de l’équilibre entre émotionnel et chauvinisme »

Un représentant très médiatique de l’Hexagone parvient, lors de chaque grand événement retransmis par France Télévisions, à se placer en tête du classement des journalistes sportifs les plus chauvins : il s’agit de Nelson Monfort, qui se défend pourtant de tout chauvinisme. « Bien sûr, nous sommes heureux de voir les Français gagner mais je me considère personnellement comme un citoyen du monde. Je ne suis pas du tout chauvin », assure-t-il dans un entretien repris par le Wall Street Journal. « Je suis souvent frappé par le chauvinisme des commentateurs français, explique quant à lui le journaliste britannique Darren Tulett, qui a quitté Canal+ en 2012 pour BeIn Sports. A la BBC, en Angleterre, le principe est d’être le plus neutre possible. J’aime le folklore dans les commentaires, mais parfois en France ça va un peu loin… » Symbole de ce « trop », Christian Jeanpierre, autre porte-drapeau du chauvinisme ou du supporterisme franco-français, a été souvent raillé sur les réseaux sociaux par ses commentaires manquant cruellement souvent d’objectivité. Son successeur, Grégoire Margotton, se défend de tout chauvinisme lors d’un entretien au magazine GQ : « C’est à moi de placer le curseur. Je n’arrive pas encore à mettre des mots sur les émotions. En tout cas pas assez, c’est mon souci. C’est pour cela que je ne parais pas chauvin : c’est parce que je ne donne pas tout de ce côté-là, je n’y arrive pas. Globalement, je suis rarement satisfait de l’équilibre entre émotionnel et chauvinisme. Bon et puis de toute façon, je suis incapable d’être chauvin ! Pour moi, ce n’est pas possible. Quand on joue les Allemands, je ne les vois pas avec un casque à pointe et un costume gris. On n’entend que cela dans le débat politique, et on va en prendre pour un an là avec l’identité, la nationalité… » L’un des principes de base du journalisme sportif est de « collaborer avec les organisations sportives » selon les statuts de l’Association internationale de la presse sportive. Ça n’empêche pas de s’en indigner, encore aujourd’hui. D’ailleurs, pas évident que les autres journalistes apprécient d’avoir des confrères aussi complaisants. « En fait, le journaliste local, pour peu qu’il ait grandi auprès des équipes qu’il couvre, marche en équilibre sur un fil, explique Rémi Alezine, journaliste sportif à l’Ami Sports. A droite, il y trouve et y puise des états d’âme et des émotions. A gauche, il y pioche une certaine culture sportive et une part indispensable de sang-froid et d’objectivité. » « Je mets aujourd’hui un point d’honneur à être objectif et impartial quand je traite ces deux phares du sport lorrain, enchérit Arnaud Demmerlé, journaliste à La Semaine. Question de crédibilité. J’ai même la réputation d’être assez dur quand les nuages pointent le bout de leur nez. Je dis simplement tout haut ce que d’autres pensent tout bas. »

« Boxer la réalité du terrain est inutile »

La passion n’empêche pas de prendre du recul. Journaliste sportif un métier difficile car il faut tenir les spectateurs en haleine tout en gardant une certaine retenue. Commenter un marathon dans lequel il ne se passe pas grand-chose pendant deux heures est une gageure. Le journaliste sportif n’est pas tout à fait un journaliste comme les autres car il a également un rôle pédagogique. On entend ci et là que les « valeurs » du sport sont indiscutables. Faudrait-il donc que les journalistes sportifs participent à l’enseignement de ces valeurs auprès de son public au même titre que les champions ? Doit-on rendre grâce à Jean-Michel Larqué qui répétait à l’envi que « l’arbitre a toujours raison » ? L’impartialité est-elle possible quand on apprécie le club que l’on analyse ? « En locale, il faut se faire une raison, concède Arnaud Caël, commentateur sportif pour la chaîne locale Mirabelle TV. D’ailleurs, elle s’impose vite d’elle-même. Les tartines dégoulinantes de déontologie ingurgitées en école de journalisme se muent en un café serré avalé cul sec. Boxer la réalité du terrain est inutile. On finit toujours KO au milieu de ce petit ring fait de courts réseaux. Car la proximité est quotidienne et l’affection pour un club en est son fruit. » Qui est, au fond, le journaliste sportif ? On peut d’abord avancer que c’est un journalisme dominé dans le champ de l’information. La culture sportive est traitée de manière sélective : un nombre restreint de sports (le football suivi du tennis, du rugby, le basket-ball et de la formule 1) couvre l’essentiel du paysage médiatique et des audiences télévisuelles sur des chaînes de sport de plus en plus nombreuses (Canal +, BeIn Sports, SFR Sports…).

 

Le sport est bien souvent traité comme un journalisme de divertissement, très émotionnel, produit par des journalistes passionnés de sport et ayant tendance à l’encenser. Parfois trop ? « J’aimerais répondre que je suis capable de rester de marbre face aux résultats de nos clubs locaux, étaye Rémi Alezine. Seulement, je ne peux cacher que j’ai pleuré de rage après la défaite de Metz Handball en finale de Coupe d’Europe 2013 et qu’il m’a fallu beaucoup de temps pour me remettre du KO suscité par la descente du FC Metz en National en 2012. Le sort de ces équipes alimente les pages de mon magazine et construit mes chroniques autant qu’il génère en moi beaucoup d’émotions. Et, je trouve que ce petit mélange n’a rien d’un mélange des genres. Bien au contraire. Quel meilleur regard sur l’actualité d’une équipe qu’un regard averti et sensible ? » « Le parti pris y est même fortement recommandé car l’émotion est palpable, corrobore Arnaud Caël. La question du chauvinisme ne se pose pas. L’objectivité est en sommeil pour la bonne cause. Reste que les prises de position sont possibles. Là encore, elles s’éloignent de la raison. Elles sont souvent plus blanches que blanches. Et réciproquement. Tempérer ses propos est un exercice que l’on réussit… à notre bon vouloir, sans même souvent s’en apercevoir. » « Il ne faut pas oublier que les journalistes sont humains et vibrent aussi devant les exploits de ces sportifs de haut niveau, ajoute Arnaud Demmerlé. Mais d’une manière générale, j’essaie simplement de me mettre dans la peau d’un lecteur lambda et de répondre à ses attentes quand il lit un article. » « A condition forcément que ce regard s’aiguise avec une connaissance acérée du contexte, conclut Rémi Alezine. Que ce soit le contexte du club ou de la compétition. Cette connaissance permet de ne céder à aucune euphorie, positive ou négative. Si j’étais amené à couvrir l’actualité d’un club à l’autre bout de la France, il est évident que j’y apporterais plus de distance. Pour plus d’objectivité ? Paradoxalement, je suis convaincu que non. On ne peut par exemple pas se laisser endormir par la stratégie d’un Carlos Freitas quand on connaît les valeurs historiques du Football Club de Metz. Et c’est aussi ça l’objectivité. Une objectivité chauvine. » Le geste, l’effort, la qualité de l’adversaire, le contexte technique ou tactique, tout cela n’est finalement pas renvoyé aux calendes grecques. Ils sont abordés avec une pointe de subjectivité qui ne désinforme ni n’oriente le public vers une lecture particulière. Ne faisons pas l’erreur de placer le lecteur comme un dadais qui absorbe l’information sans la comprendre et la placer dans le contexte approprié. Avec son bagage intellectuel propre. Car en définitive, les journalistes sportifs sont surtout là pour livrer une réflexion sur leur propre univers. Libre au lecteur de la traiter comme bon lui semble. Avec le recul nécessaire… ou non.

Photos : Moselle Sport, DR - Article publié le 22 février 2017

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